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L 'ETAT DE NOTRE URGENCE

A propos du cinéma expérimental/le film est poltique

A propos du cinéma expérimental en général

et du Collectif Jeune Cinéma en particulier

Un entretien de  Nina Zivancevic, Frédric Tachou et Merejkowsky

 

Troisième Partie

 

NZ

J’ai enseigné à Paris 3 le mouvement du cinéma d’avant-garde en Grande Bretagne. Le mouvement de rébellion était proche de la télévision et la télévision a créé le mouvement des cinéastes se sentant proches de Stan Brackhage, de l’art visuel. Est ce qu’ici la nouvelle vague française a été condamnée par la télévision commerciale ?

FT

Le cas de la France est particulier, difficile à comparer avec la situation des États-Unis ou de l’Angleterre. En France le cinéma d’auteur est dans une situation un peu intermédiaire entre le cinéma classique industriel et le cinéma expérimental. Pierre Schaeffer, par exemple, jusqu'en 1974, a été payé pour diriger un service d'expérimentation audiovisuelle afin de réaliser des films expérimentaux très audacieux dans leur forme. Ils étaient diffusés sur l'unique chaîne d’État. C'est très difficile d'imaginer aujourd’hui quelque chose d'aussi extraordinaire sur le plan formel, sur le plan de la richesse esthétique.

PM

Je voudrais juste ajouter que le service public finançait les recherches de Pierre Schaeffer parce qu’il était entendu qu’on ne contestait pas l’organisation de la société, sa hiérarchie, le salariat, et c’est peut être pour ça que les grands networks sont réticents à passer des films qui prennent position. Parce que pour eux, le cinéma est une œuvre d’art, et que pour eux l’art, comme ils disent, ne peut pas se situer dans le champ de la politique. Ce débat n’est pas terminé, je pense que la pratique expérimentale n’a pas pour but la prise de pouvoir, elle a pour but de créer des îlots de gens qui se rencontrent et qui font, soit dans la création du film, soit dans sa diffusion, quelque chose de différent du modèle. Ils n’ont, en fait, jamais l’optique d’une prise de pouvoir qui serait justement contradictoire avec l'esprit d'une action collective.

NZ

Même si le film ne veut pas être intentionnellement politique, il est, par son commentaire, politique.

FT

C’est très difficile de déterminer l’enjeu politique. À l’époque de Pierre Schaeffer, on explorait. On explorait par exemple les différentes cultures du monde à travers des documentaires vraiment créatifs. Les ouvriers ou employés, quand ils rentraient chez eux le soir et qu’ils allumaient la télévision d’État, ne faisaient-ils pas une vraie expérience révolutionnaire de leurs mondes mentaux ? La télévision d’État leur proposait de vivre une expérience impensable, les contraignant psychologiquement à se déplacer sur des territoires inexplorés. Donc, où est la révolution dans tout ça ? Au fond, je n’en sais rien

NZ

Si je peux ajouter juste quelques mots, quand j’étais à Paris 3,  il y a trois ans, j’ai dit aux étudiants quand le Brexit a commencé : Vous savez comment il est arrivé le Brexit ? Le pourquoi ? Eh bien, vous allez voir le film expérimental britannique de Jennings London can take it (Londres peut le faire), et là vous voyez le siège de Londres et les bombardements de la deuxième guerre mondiale, vous comprenez clairement que les Anglais ne pourront jamais pardonner aux Allemands. Et voila, là est le commencement du Brexit. Ils n’ont jamais adhéré à l’idée de joindre la Communauté Européenne. Mais moi, je voudrais savoir contre quoi vous vous  êtes révoltés, et comment vous êtes arrivés à créer le Collectif Jeune Cinéma

PM

Marcel Mazé, a commencé avant nous au festival d'Hyères dans les années 1970, avec des tendances très politiques militantes et une tendance artistique. C'est à cette époque qu'est né le Collectif Jeune Cinéma. Après, le Collectif Jeune Cinéma, comme beaucoup de groupes dans les années 1970-1980 a disparu, parce qu’il y a eu un reflux. Il n’y avait plus de bases pour faire des films, et tout s’est arrêté. Le Collectif Jeune Cinéma a été relancé par Jean-Marc Manach qui a convaincu Marcel Mazé de refaire des projections dans une salle associative à Paris.

 

NZ

C’était en quelle année ?

PM

En 1999

FT

Marcel Mazé, en fait, en tant que responsable de la sélection du cinéma indépendant de Hyères au début des années 1970, rencontrait beaucoup de cinéastes. Ils se sont dit, pourquoi on ne créerait pas comme Mekas aux États-Unis, une coopérative de cinéma indépendant ayant pour but de promouvoir et de distribuer les films dont ne voulaient pas les circuits commerciaux, films qui, par ailleurs, ne relevaient pas non plus du cinéma d’auteur… La coopérative fonctionnait de façon assez simple, quelques personnes organisaient des projections à Paris, et puis l’usure, les schismes, les disputes…  Tout ça s’est un peu effacé dans les années 1980. Ce qui est assez paradoxal, parce qu’en même temps, quelqu'un comme  Dominique Noguez, par ses travaux, a fait prendre conscience à beaucoup d'étudiants, entre autres, l'importance du cinéma expérimental. Et puis, par des rencontres, des circonstances plus ou moins hasardeuses, en 1999, le festival a été relancé.

PM

Ce qui est intéressant chez Mazé c’est qu’il avait le don de réunir autour de lui des personnes très différentes, aussi bien des profs de fac, que des activistes du mouvement gay ou des « sans parti ». Les assemblées générales du CJC étaient des lieux de confrontations extrêmement violentes. Les gens s’invectivaient, s’accusaient. Nous avions de « mini 68 » dans ces AG. Mais comme le groupe des professeurs de fac est parti,  il n’y a plus d’opposants maintenant. Les assemblées générales sont assez tristes, mais il reste cependant des acquis. Tout le monde peut écrire sur Agora, la mailing list, qui permet d'envoyer des mails à tous les coopérateurs. Certains ont demandé de la supprimer, mais cela ne s’est jamais fait, parce que la personne qui gère la mailing list et qui a ouvert Agora, a dit qu’elle ne voulait pas la surveiller, parce qu’en France contrairement aux États-Unis et en Angleterre, celui qui gère la mailing list a le pouvoir, car il a les codes d’accès. Enfin, c’est ma version des faits.

FT

Je vois les choses un peu différemment. J’ai vu davantage de luttes d’égo que de luttes politiques. Mais peu importe, je pense qu’il y a une explication à cela. Comme le Collectif Jeune Cinéma est devenu une structure ayant des responsabilités, disons,  publiques, il y a d’un côté une sorte de mandat consistant à organiser des activités culturelles, et de l'autre cette tradition d'ébullition. Des coopérateurs comme Pierre Merejkowsky sont essentiels, parce que le Collectif devra toujours rester un foyer où se retrouvent des gens qui ne sont pas tous d’accord. Pierre a écrit pour le prochain catalogue un texte qui a pour titre « Ne pas faire avec ». Il y dénonce le renoncement psychologique très profond aboutissant à faire admettre la réalité telle qu’elle est, et le devoir de faire avec. Le Collectif Jeune Cinéma ne pourra jamais se résoudre à faire avec et, grâce à Pierre et à d'autres, il y a tout le temps ce potentiel vivant d'ébullition. Maintenant, ça ne se passe plus dans des éclats de voix, ça se passe d’une façon plus sage, beaucoup moins spectaculaire. Si on compare le Collectif Jeune Cinéma avec d’autres structures, on s'aperçoit qu'il est le seul à avoir en son sein autant de personnalités travaillant ensemble tout en assumant leurs différences.

NZ

Vous êtes l’avant-garde qui n’a pas encore été rachetée.

FT

J’insiste sur le fait que, pour le festival, nous nous  fichons de savoir si les cinéastes que nous sélectionnons sont amateurs ou professionnels. Ce qui fait pour nous la différence, c’est l’acte créatif. C’est ça qui nous intéresse. On s‘aperçoit par exemple que de grands festivals qui présentent du cinéma expérimental suivent seulement les œuvres de cinéastes confirmés. Nous, nous sélectionnons en compétition des œuvres de jeunes cinéastes, même de dix-huit ans. Le statut dans le milieu ne compte pas, ce qui compte c’est l’authenticité d’un geste artistique, la façon dont on va traiter un sujet avec originalité, intensité. Le côté accrocheur, c’est ça qui compte.

NZ

Vous êtes ouverts aux cinéastes étrangers ?

FT

Bien sûr, même si les étrangers c’est aussi à nous d’aller les chercher.

PM

Chaque membre du CJC fait ce qu'il veut. Par exemple il y a un groupe qui défend le cinéma queer  moi je défends plutôt les films autour des gilets jaunes en ne les présentant pas d'une manière journalistique mais en privilégiant le « je ». D'autres coopérateurs défendent la forme, et ce qui est intéressant dans ce collectif, c'est que nous sommes arrivés à créer un groupe où toutes les tendances arrivent à s'exprimer. Il n'y a pas d'histoire de discipline de groupe, où il ne faudrait pas parler politique. Chacun peut parler de ce qu'il croit nécessaire, et montrer les films comme il le souhaite. Certains coopérateurs sont juste impliqués dans la diffusion. Nous n'avons pas de porte-parole, ou de ligne clairement définie. On nous l'a d'ailleurs souvent reproché. La ligne, c'est qu'il n'y a pas de ligne.

 

Nina Zivancevic

https://en.wikipedia.org/wiki/Nina_%C5%BDivan%C4%8Devi%C4%87

 

Frédéric Tachou

http://www.cjcinema.org/pages/fiche_auteur.php?auteur=136

 

Pierre Merejkowsky

https://merejkowskychroniquedestempspresents.wordpress.com/

 

 

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